Rénover "slowheat" ?
- SlowHeat

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Sommes-nous à une croisée des chemins ? Alors que les obligations de rénovation se profilent à l’horizon, et que les installations fossiles entament un phasing out réglementaire, les rapports nuançant l’efficacité de la rénovation globale à grande échelle fleurissent (voir le récent travail de l’INSEE). La raison de cet « energy performance gap » ? En partie la médiocre qualité d’exécution, et en partie la non prise en compte des modifications d’usage. Ces rapports s’ajoutent à ceux pointant les multiples freins à la rénovation (voir notamment le travail du Conseil Central de l’Economie) et justifient de prendre un recul critique sur les politiques de rénovation. Pas pour les vouer aux gémonies, mais pour les inviter à plus de nuance en questionnant notamment le modèle unique de l’isolation globale + chauffage central PAC + PV.
Alors, que serait une rénovation « slowheat » ? Quelques réflexions.
1/ Il y a dans slowheat l’idée de viser des ambiances plus fraiches avec une compensation proche du corps, que ce soit par des vêtements ou des équipements de chauffage de proximité. Cette réduction de la température intérieure a comme conséquence de modifier les optima économiques et environnementaux. Un isolant n’a de sens que s’il freine un flux de chaleur ; or, si le delta de température entre l’intérieur et l’extérieur diminue, le flux de chaleur également, et la rentabilité de l’isolation suit la même tendance. Où sera le nouveau point d’équilibre ? Difficile à dire, car cela dépendra de la situation, du mode constructif (réversible ou non ?), des matériaux choisis, etc. Notre intuition est que cela ne remet pas en cause le principe même de l’isolation, mais bien l’épaisseur optimale. Est-ce important ? Non, pas tant que cela, car les optimaux énergétiques et environnementaux sont en général relativement « plats » : ce n’est pas parce que l’on met l’un ou l’autre centimètre d’isolant de plus ou de moins que le bilan se trouve complètement retourné. Dès lors, chauffons moins, mais continuons à isoler fortement les parois sur lesquelles on choisit d’agir. La question sera plutôt : faut-il isoler toutes les parois ?
2/ L’idée centrale de slowheat, c’est de réfléchir à la bonne échelle : celle du corps, puis de son environnement immédiat, puis de la pièce, puis du logement, etc. Dès lors, l’idée même que tout le bâtiment doit être chauffé uniformément disparait. Des pièces non chauffée ? Pas de problème, tant qu’elles restent saines. Faut-il dès lors les isoler ? Dans certains cas oui, pour que la chaleur qu’elles recevront des espaces adjacent assurent justement leur salubrité. Mais dans d’autres cas, non. Pourquoi réisoler une toiture si elle ne couvre que des chambres non chauffée ? Pourquoi isoler une façade à rue si les locaux qu’elle abrite ne sont pas des pièces d’usage long et ne sont chauffées que ponctuellement ?
Poussant l’idée à l’extrême, on pourrait chercher à construire au sein d’un bâtiment existant des « bulles thermiques » : une bonne couche d’isolant par l’intérieur dans la/les pièces de vie principales, mise en œuvre de façon réversible pour s’adapter si les besoins de la famille changent. Plus besoin de permis d’urbanisme…

Sans aller si loin, on peut distinguer clairement dans une rénovation une partie jour, isolée, performante, d’une partie nuit pour laquelle on accepterait de n’intervenir que plus ponctuellement (résoudre les problèmes d’étanchéité, s’assurer quelques quick-win au niveau des châssis, etc.). Et donc isoler « par façade » ou « par étage ». Cela réduit a priori la quantité de matière mise en œuvre, le coût, la durée du chantier… Est-ce plus « rentable » ? On peut le croire, vu que la matière est mise en œuvre là où elle sera le plus utile. Mais c’est difficile à affirmer à ce stade. Un premier travail de fin d’étude à l’UCLouvain indiquait que le bénéfice d’une telle approche était plus sur le gain de confort que l’augmentation de la rentabilité énergétique. Mais derrière ces calculs, il y a toujours des hypothèses d’usage. Il faut rester prudent et ne pas faire dans un sens « pro slowheat » l’erreur classique des études soutenant la rénovation « classique », à savoir négliger l’importance du facteur humain et de l’usage des bâtiments.
3/L’isolation n’est pas tout. Un des grands enjeux derrière la rénovation est la sortie des énergies fossile. Celle-ci implique un basculement vers la biomasse (pas en centre-ville ; en principale ou en appoint), vers des réseaux de chaleur urbain (si seulement on en avait plus…) ou une électrification, a priori par pompe à chaleur. Fort bien, mais on nous bassine avec les limites des PAC en rénovation, principalement liée à leur température de sortie limitée (55 à 60°C en général), qui ne serait pas suffisante dans les réseaux de distributions existants dimensionnés sur un régime 90-70 ou 80-60. C’est pas tout à fait faux sur le principe, mais un peu simpliste quand même. D’une part, entre le dimensionnement initial de l’installation et la situation de fait avant rénovation, il est probable que la performance du bâtiment ait été améliorée (remplacement de châssis au fil des années, isolations de conduites, …) et que l’ensemble de la puissance initiale ne soit plus nécessaire. Il est aussi probable que l’installation initiale n’ait été dimensionnée que très grossièrement (« y en a un peu plus, je vous le met quand même ? »). Dans tous les cas, refaites un calcul un peu fin. Et dans ce calcul, on pourrait changer la température extérieure (faut-il vraiment dimensionner sur -8°C à Bruxelles dans le climat actuel et futur ?) et la température intérieure (merci Slowheat) : pourquoi ne pas concevoir le chauffage central comme l’élément qui assurera un fond de température (18, 16, voir 14°C, à vous de voir), lequel sera complémenté par d’autres moyens. Cela réduit fortement l’argument pour le maintien de régimes de température élevés, facilite la pénétration des PAC, réduit la puissance à installer (et les nuisances, et le coût, et l’impact environnemental initial,…) sans nuire à la salubrité et, dans une approche complète du slowheating, au confort thermique.
Alors on nous rétorquera que, dans le cadre mental et réglementaire actuel, jouer sur la température intérieure n’est pas possible dans un modèle PEB, que faire l’hypothèse de non équipement d’un local par un chauffage central est très défavorable dans cette même PEB, que le dimensionnement de la PAC se fait aussi pour l’eau chaude sanitaire, que souvent la rénovation est motivée plus par des questions autres que l’énergie, et qu’une approche partielle ne résout pas tout, ou encore que les chauffagiste n’osent pas dimensionner en dehors des valeurs de la norme NBN EN 12831…
Tout cela est vrai, et nous ne prétendons pas à ce stade avoir réponse à tous ces points.
Mais envisager aujourd’hui la rénovation, comme particulier, bailleur ou plus largement comme autorité publique, sans s’interroger sur la complémentarité de la sobriété, des approches de chauffe plus localisées, et de l’efficacité énergétique serait … « so XXème siècle ».



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